Joke Lanz and Ute Wassermann

Half Dead Half Alive

By: Jean-Michel van Schouwburg

orynx

2021

Language: francais

Platines et voix humaine : Joke Lanz et Ute Wassermann qui, elle est aussi créditée appeaux et objets. Les deux artistes évoluent aux confins des possibles sonores, dans une dimension bruitiste, ludique et subtilement expressive. Deux longues improvisations enregistrées au Festival Konfrontationen Nickelsdorf 2019 : Half Dead et Half Alive. La voix d’Ute Wasserman a une capacité surréelle de transformer son organe vocal comme celui d’un volatile – oiseau rare avec une articulation extraordinaire, ses bruitages vocaux étant travaillés au millimètre près, utilisant les ressources de l’aspiration de l’air dans la gorge comme si c’était un instrument accordé par Harry Partch lui-même. Un phénomène de la voix humaine distillant phonèmes sibyllins, aigus fluctuants qui se dilatent dangereusement, secousses de gloussements improbables, effets de glotte démultipliés, croassements d’échassiers ou de hiboux, hululements. Elle a un côté organisé, presque prémédité et pourtant, il est évident qu’elle travaille à l’instinct et dans la magie de l’instant, aimant se surprendre. Pour son bonheur, elle a affaire à un acolyte facétieux avec un solide sens de la répartie et de l’invention qui n’hésite pas à toujours chercher des sons inédits et à brouiller les pistes. Des secousses vocalisées et des voix parlées issues de je ne sais quel disque entament une conversation imaginaire avec la fée du logis. Il traque l’extrême vocal et la fièvre audible aux creux des sillons, des échos d’accordéon, d’orgue de barbarie ou de guimbarde , des grincements vivants auxquels la chanteuse répond du tac-au tac avec un surprenant esprit d’à-propos et un délire à froid. Si on n’y prend garde, on distingue à peine qui fait quoi. Leur connivence échafaude des sens dessus-dessous dans une écoute mutuelle intense. Plutôt que de chercher à créer un œuvre avec un début, un développement et une fin avec des ambiances bien caractérisées, des variations calibrées et une relative logique, les deux artistes ont fait le pari de la déconstruction permanente, du coq-à-l’âne et des cadavres exquis avec des correspondances inavouées. Si au départ, à la première écoute, l’auditeur pris par surprise se demandera où ils veulent en venir, il comprendra bien vite qu’ils ne veulent aller nulle part, si ce n’est nous donner le tournis. Petit à petit, un autre univers s’installe, celui de l’instant, du moment présent, celui qui ne voit pas de fin et découpe le fil conducteur en rondelles de sens, éléments de vocalités, de déchets technologiques, scories du temps et épluchures du fruit défendu. Finalement, si leur œuvre semble n’avoir ni queue ni tête, c’est parce que nos voyages et les paysages nous paraîtraient insensés et incompréhensibles si nous n’avions pas incorporé et assimilé une culture, un savoir, une expérience, une destination. Ute Wassermann et Joke Lanz taillent tout en pièces, le fil de l’instant qui trace son destin et nos sens apeurés par l’inconnu.